1. ETIOPATHOGENIE : RAPPELS FONDAMENTAUX


Le processus carieux appartient à la pathologie infectieuse de l’enfant de façon quasi permanente et parfois de façon préoccupante. La carie est une maladie dont le symptôme est constitué par une déminéralisation des tissus durs, conséquence de la fermentation acide des sucres par les bactéries ; cet évènement ne se produit que lors d’un contact étroit et prolongé bactéries/émail.
Selon la part d’intervention de chacun des facteurs, le développement de la lésion carieuse est plus ou moins rapide et plus ou moins important.

Keyes


1.1. L’ HOTE : un facteur intrinsèque


La cavité buccale est un milieu très complexe offrant différentes niches écologiques, riche en réactions biophysiques et biochimiques qui vont influencer la qualité de l’émail et de la salive le recouvrant.
La dent est la plupart du temps recouverte par un film amicrobien de 0,1 à 1, la pellicule acquise, qui résulte de l’adsorption de glycoprotéines dérivées de la salive et du fluide gingival. L’adhérence des bactéries à l’émail se produit généralement par l’intermédiaire de cette pellicule acquise.

Les composants salivaires ont une importance fondamentale dans l’écologie microbienne quant aux rapports bactéries-surfaces orales. Leur rôle est double : ils favorisent la colonisation des dents par différentes bactéries et par ailleurs, ils retardent la formation de la plaque ou même inhibent l’adhérence bactérienne.
Comme tout liquide biologique, la salive présente une composition et un rôle complexes mais il est possible de penser que sa finalité est de tendre vers un équilibre et de se comporter comme une solution minéralisante.


1.1.1. La dent temporaire
Du fait de son anatomie et de sa physiologie, la dent temporaire est particulièrement susceptible à la carie. Des contraintes anatomiques et physiologiques découlent les formes cliniques et par là-même, les thérapeutiques.

La couronne est globuleuse avec un étranglement cervical. Cette morphologie particulière favorise, en cas de lésions carieuses proximales, les lésions septales interdentaires et complique la prise au davier. Les sillons de la face occlusale sont très marqués au niveau des molaires lors de leur éruption, c’est-à-dire lors de l’installation de la flore buccale (physiologique et pathologique), puis les surfaces s’abrasent par la suite.

- L’EMAIL : mince, peu minéralisé, dont les prismes sont peu coalescents et mal orientés 
- La DENTINE : mince, tendre, le diamètre des tubuli est important, favorisant la pénétration bactérienne.
- La PULPE
 : volumineuse
- Le CEMENT : peu épais et poreux.


Pendant son évolution, la dent temporaire passe par différents stades déterminant des modifications pulpaires qui vont conditionner sa réaction aux différentes agressions.
- Au cours de la période de formation et d’éruption (stade 1), la pulpe possède un grand potentiel réparateur dentinogène.
- Au cours de la période de stabilité (stade 2), les réactions de la pulpe sont comparables à celle de la denture définitive. Néanmoins, la pulpe se caractérise par une susceptibilité particulière à l’inflammation sur un mode dégénératif.
- Au cours de la phase de résorption (stade 3), la dent et le parodonte subissent d’importantes modifications relatives à la migration apicale de l’attache épithéliale, à la présence des canaux pulpo-parodontaux, à la porosité du plancher pulpaire.


1.1.2. La dent définitive jeune
Elle arrive souvent dans un environnement défavorable.

- Son émail est immature puisqu’il est minéralisé seulement à 75% à l’éruption ; il mettra 1 an et demi pour atteindre les 96% de minéralisation.
- Les sillons anfractueux et plus fragiles (zones de coalescence) constituent des pièges à plaque.
- S’il s’agit de la 1° molaire, sa difficulté d’accès et sa confusion relativement fréquente avec une dent temporaire favorisent la permanence de la plaque bactérienne.
- Les dents définitives font leur éruption dans une cavité buccale où une flore plus ou moins
pathogène (selon l’indice carieux des dents temporaires) s’est installée.

1.1.3. Facteurs de l’écosystème buccal
Différents facteurs peuvent prédisposer à l’apparition de lésions carieuses :
- héréditaires : qualité de l’émail (les dysplasies prédisposent au processus carieux)
- congénitaux : troubles de l’odontogénèse, carences vitaminiques (vitamine A)
- pathologiques : infectieux ( rougeole ), maladies systémiques de la petite enfance
- locaux : salivaires d’une part : pH, concentration en lysozyme et IgA secrétoires
dentaires et d’autre part : malpositions, malocclusions.



1.2. LES BACTERIES : un facteur extrinsèque PERMANENT

Bien que d’ordre acquis, les bactéries font partie intégrante de l’individu en raison d’une symbiose opportuniste.

Généralement aseptique à la naissance, la cavité buccale du nouveau-né est rapidement colonisée dès la 6° heure. Les bactéries cariogènes (
Streptococcus mutans et lactobacilles) ne sont isolées que plusieurs semaines après les premières éruptions dentaires.

La rencontre bactéries/surface amélaire s’effectue par des interactions spécifiques entre la pellicule acquise et les bactéries pionnières (généralement
Streptococcus sanguis). La pellicule acquise est l’intermédiaire obligatoire pour initialiser la plaque bactérienne ; sa composition en glycoprotéines va déterminer l’attachement initial de la 1° bactérie colonisatrice.

La production bactérienne de polysaccharides extra-cellulaires facilite l’implantation successionnelle de différents micro-organismes pouvant proliférer sous forme de micro-colonies disposées en couches parallèles à la surface dentaire et/ou sous forme de colonnes bactériennes perpendiculaires à cette même surface.
Les bactéries cariogènes vont utiliser, comme source nutritionnelle et énergétique, les sucres extrinsèques dont le métabolisme aboutit à la production d’acide lactique déminéralisant l’émail ainsi qu’à la fabrication de polysaccharides extracellulaires et intracellulaires.

Les polysaccharides extracellulaires

- empêchent la dilution de la plaque,
- isolent la plaque des réactions physico-chimiques buccales (tampons salivaires),

assurent le collage des micro-organismes entre eux et aux surfaces, et enfin,
constituent une réserve d’énergie et de nutriments.
Les polysaccharides intracellulaires servent de nutriments lors d’un appauvrissement du milieu.
S’il existe des plaques sans carie, il n’y a pas de carie sans plaque :
La capacité des micro-organismes à déclencher une lésion carieuse est en rapport avec :
leur nombre,
le pH le plus bas auquel ils fermentent les sucres,
l’importance de leur production acide à des pH divers.

La production acide dans la plaque est conditionnée par :
la rapidité de diffusion du sucre au sein de la plaque,
la vitesse de baisse du pH,
la lenteur de remontée du pH à sa valeur initiale.
Le pH auquel la salive est saturée envers l’hydroxyapatite est appelé pH critique et se situe entre 5,2 et 5,5.
La stabilité de l’hydroxyapatite est essentiellement liée :
au pH environnant,
à la concentration en ions calcium, phophates et fluor.
Dans des conditions physiologiques (pH 7), la salive se comporte comme une solution minéralisante.
A un pH compris entre 4,5 et 5,5, l’émail se dissout en profondeur ; à un pH <4,5, l’émail se désagrège superficiellement (d’où l’apparition de lésions carieuses rampantes lors de polycaries).
Ainsi sur la surface amélaire, se produisent des réactions de dissolution, de précipitation et de reminéralisation au gré des variations du pH.
Il est alors possible d’observer :
des désintégrations restant à un niveau subclinique,
des reminéralisations totales (carie arrêtée),
l’apparition d’un leucome précarieux ou “white spot lesion”.

La lésion carieuse est déjà présente au niveau histologique, mais nous n’intervenons qu’au
niveau clinique ( histologique versus clinique), d’où l’intérêt de la prévention.
Une fois la couche d’émail franchie, les bactéries cariogènes et en particulier les lactobacilles peuvent prospérer dans la dentine, s’attaquant à la portion organique de la dentine (nutriment), la destruction minérale s’effectuant en raison de la production acide bactérienne mais également en raison de la perte de la trame organique collagène.


1.3. L’ ALIMENTATION : facteur extrinsèque ALEATOIRE

Le régime alimentaire s’envisage selon ses composantes chimiques (sucres) et physiques (consistance).

Composition des aliments (sucres)

Dans l’alimentation, l’apport glucidique nécessaire doit être de 58% (48% de sucres complexes ou lents, 10% de sucres raffinés ou rapides).
Parmi les sucres cariogènes et caloriques utilisés de façon plus ou moins constante par les micro-organismes de la plaque, on peut citer le glucose, le saccharose, le lactose...
Parmi les sucres de substitution (de plus en plus présents dans les sirops à usage pédiatrique), on peut citer les polyols d’une part : le sorbitol, le mannitol, le xylitol qui sont non cariogènes et moins caloriques que les sucres traditionnels et, les édulcorants intenses d’autre part comme la saccharine, l’aspartam qui sont acariogènes et non caloriques.
Malgré les conseils de prévention, les sucreries ont une place de choix dans les manifestations destinées aux enfants ; elles sont considérées comme des signes d’affection, d’attachement ou encore comme moyen d’apaisement.

Consistance des aliments

La consistance des aliments est un facteur à prendre en considération. Les aliments durs et fibreux favorisent la croissance alvéolodentaire et la salivation. Une alimentation solide peut commencer dès 18 mois.
Ainsi les habitudes alimentaires jouent-elles un rôle considérable sur l’incidence de la carie.


1.4. LE TEMPS :

NEWBRUN, en 1978, ajoute le temps au schéma de Keyes. Le temps est nécessaire aux bactéries pour adhérer à l’émail ainsi que pour mettre en oeuvre leurs différentes activités métaboliques.
A côté de ce temps bactérien, le temps intervient également dans la fréquence de consommation en hydrates de carbone ainsi que dans le contact sucres/dent qui seront des éléments déterminants dans l’apparition du processus carieux.
Ce temps de contact est influencé par :
la qualité du sucre,
la production salivaire,
la présence d’obstacles (encombrements dentaires, cavités carieuses, morphologies occlusales tourmentées).


3-Stephan



Au vu de la courbe de Stephan, il est très compréhensible qu’un seul apport même massif en sucre est préférable à plusieurs, même légers dans une même journée.